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Astrid Schmeda, Silence sur la garrigue – Histoires du Midi
Traduction de l’Allemand par Elmar Schmeda
ISBN 9783943446760
136 pages
15,- €
Le midi avec sa garrigue est le théâtre de ces histoires que raconte la narratrice allemande Lotta. Elle vit depuis 1997 avec Clemens et leur fils Ihmo dans un petit village entre Avignon et Uzès proche de l’aqueduc du Pont du Gard. Leurs rencontres avec des hommes et des femmes de provenances diverses sont imprégnées d’une curiosité de l’inconnu. Ihmo est confronté aux problèmes d’intégration dans une société qui lui est étrangère et parfois hostile. Lotta s’intéresse aux différentes cultures qui se confrontent dans la France méridionale ainsi qu’au passé franco-allemand qu’une Allemande retrouve obligatoirement en France.
chantillon de lecture
LE LÉGIONNAIRE
Son visage me semblait familier. Je l’avais peut-être déjà aperçu à Remoulins parmi d’autres Sans-Abri qui sont là tous les jours, assis sur un banc. Un visage mat, tanné, creusé de mille rides.
Je n’aurais su dire s’il était vieux ou pas.
Il m’effleura l’épaule :
– Vous pouvez laisser votre voiture comme ça, elle est mal garée mais je vais faire attention. Cuxhaven. Je l’ai déjà vu plusieurs fois.
Une fois ma réticence mise de côté, je remarquai qu’il me parlait en allemand. Un accent d’Allemagne du Nord sur une mélodie française. Je fis un signe de tête, je ne voulais pas me laisser entraîner dans une conversation.
Je faisais la queue devant un distributeur de billets. Remoulins est un village sans charme, le centre est traversé par la route nationale et assourdi par le bruit des grands camions en route vers l’Espagne. Un Café du Nord, un Hôtel Moderne, comme partout. Je ne m’y arrêtais que pour le distributeur.
Le Sans-Abri m’assaillait de paroles.
– Cuxhaven ! C’est le port où j’ai pris mon premier bateau, j’avais quatorze ans.
Ses souvenirs transformaient son visage. Je vis le petit garçon qui quittait sa mère pour conquérir le monde.
– J’ai vu brûler les villes… Hambourg, Brème… Dans mon enfance, c’était la guerre. Après il y a eu la faim. Comme mousse j’aidais à la cuisine à bord. On avait toujours assez à manger.
Il m’offrit un large sourire édenté.
– Si j’ai vu le monde ? J’ai tout vu. Le Cap, Calcutta, Hongkong. J’con-nais toutes les races. On peut rien me raconter. J’suis pas raciste, Madame, croyez-moi. J’suis pas raciste !
Il s’approcha. Il avait prononcé les dernières phrases avec insistance, les dents manquantes lui rendaient difficile la prononciation du ‘s’.
J’oubliai pourquoi j’attendais ici. Il m’avait captivé mais j’essayais encore de ne pas lui montrer mon intérêt.
Il était près de moi, de temps en temps il touchait mon bras pour souligner une phrase. Un homme petit, mais costaud. Ses pieds nus dépassaient de son pantalon qui traînait par terre.
– Après, ils m’ont recruté à la Légion. C’était pas pour faire la guerre, Madame, que j’y allais. C’était à cause de l’argent. J’avais une femme. Une Française. Je l’avais rencontré à Marseille. Nous vivions en Al-gérie. Une belle femme, Madame, vous connaissez les femmes fran-çaises !
Pour un instant, l’homme qu’il fut autrefois devenait visible sous le masque du clochard.
– La guerre d’Algérie était une guerre sale.
Il se tut un moment et ses yeux vacillèrent.
– Madame, si deux hommes se disputent, ils se battent, c’est normal. Mais s’ils ont une dispute, dans un bar par exemple, qu’est-ce qu’il faut faire d’abord ?
Il me laissa une pause pour réfléchir.
– Il faut faire sortir les femmes. C’est une chose entre hommes. Pourquoi les Algériens ont impliqué les femmes là-dedans ?
Il s’approcha encore un peu et baissa la voix.
– J’avais deux fillettes, des jumelles de deux ans. Toutes les trois sont… Il fit un geste significatif le long de sa gorge.
Je reculai, effrayée.
Il continua à parler d’une voix douce et avec un sourire tendre qui prenait toute la place entre ses mille rides.
– Vous, Madame, les femmes, vous êtes l’unique espoir de ce monde. Nous, les hommes, nous avons besoin de vous. C’est pourquoi il faut vous protéger, vous aimer. J’ai rien contre les Algériens et je sais que les Français sont pas mieux, mais j’ai quelque chose contre les hommes qui tuent les femmes. Il y a beaucoup d’arabes ici, vous voyez, là ? Je me dispute souvent avec eux. Quelquefois j’dis « sale arabe », et ils me répondent « sale boche », mais après on boit ensemble.
Le vieux centre de Remoulins, situé au bord du Gardon, fut aban-donné après la seconde guerre. On construisit une nouvelle église plus grande. Dès lors l’ancienne église servait d’école, puis de pri-son. Le sol est encore jonché de cahiers scolaires, et sur les murs on distingue des dessins de prisonniers. Des Algériens, émigrant en grand nombre après la fin de la guerre d’indépendance, se sont installés dans les ruines.
Il y a peu, on découvrit des fresques du 11ème siècle dans l’ancienne église qui se fait restaurer depuis. Aujourd’hui des européens du nord rachètent peu à peu les maisons délabrées pour les rénover.
En été, les grands camping-cars font une halte au bord du Gardon, avant de repartir vers la côte. Les touristes pique-niquent sur le parking. C’est une cible facile pour les voleurs, qui les dérobent de leurs affaires en plein jour.
– Comment vous avez atterri à Remoulins ? lui demandai-je finale-ment.
– Après la guerre d’Algérie j’ai pris mon dernier bateau pour l’Allemagne. J’voulais revoir ma mère, mais elle n’était plus là. Elle m’attend au ciel maintenant.
Il leva son visage.
– En Allemagne il faisait trop froid. Vous êtes ici pour le soleil, n’est-ce pas ? J’voulais revenir en France pour être au bord de la Médi-terranée. J’avais pas d’argent mais un vélo avec lequel j’suis venu de Cuxhaven jusqu’ici. Je sais plus combien de temps j’ai mis. À la fin, on m’a volé mon vélo devant l`église à Remoulins. Voilà. J’suis resté. Ici j’ai 300 jours de soleil. En Allemagne 300 jours de pluie.
Il rit et moi avec lui. La queue devant le distributeur s’était dispersée.
– Allez-y, c’est à vous Madame !
Que devais-je faire ? Lui donner de l’argent ? Cent francs, deux cents ? Ce serait trop et pas assez.
– Merci beaucoup Madame, j’ai pas besoin d’argent. L’Association des Légionnaires me paye tout. Je peux y aller et même demander un nouveau vélo, ils me le donneraient. Mais pourquoi ? On ne peut pas faire revivre avec de l’argent ceux que j’aimais. Je suis libre et j’ai le soleil. C’est assez.
Je pris mes billets et retournai à ma voiture. Il m’ouvrit la porte comme un gentleman.
– Mes salutations à Cuxhaven ! Bonne route, Madame !